Application de la loi Sécurité Sociale par A.Croizat


Application de la loi Sécurité Sociale par Ambroise Croizat

2 ème séance du 8 aôut 1946

La parole est à Monsieur le ministre du travail, Ambroise Croizat

On a songé à réaliser, en France, un plan de sécurité sociale, comme il en a été mis en œuvre, depuis plusieurs années, dans d’autres pays, notamment en Grande-Bretagne, où l’on a créé un service national de santé dont l’effet pratique est une fonctionnarisation presque complète du corps médical. Mais ce risque ne s’est pas présenté et ne se présentera pas dans notre pays.

Je m’adresse donc, au-delà de cette Assemblée, aux représentants du corps médical, dont je ne sous-estime pas la haute conscience, qui a toujours tenu une place très importante dans notre pays. Nous respectons d’une façon toute spéciale cette fonction honorable qui ne cesse de rendre de grands services à la population de notre pays.

M’adressant donc au corps médical, je lui demande d’éliminer toute crainte, en vue d’une collaboration loyale et sans réserve avec la sécurité sociale. Les médecins français par leur collaboration étroite, régulière et permanente, par les efforts qu’ils accomplissent, par leur quotidienne expérience, pourront contribuer à améliorer le fonctionnement de cette importante institution que constitue le plan français de sécurité sociale.

Notre intention est de réaliser, avec le corps médical, une collaboration sans réserve et sans arrière-pensée. Nous comptons sur lui qu’il apporte à l’œuvre de la sécurité sociale une collaboration sans réserve et sans arrière pensée. (…)

Cette grande réforme n’appartient à aucun parti, à aucun gouvernement et à aucune confession. Elle est le produit d’une longue étude, d’un ensemble d’enseignements nés d’une expérience de quinze longues années du fonctionnement des assurances sociales. Cette sécurité, née de la terrible épreuve que nous venons de traverser, appartient et doit appartenir à tous les Français et à toutes les Françaises sans considération politique, philosophique ou religieuse. C’est la terrible crise que notre pays subit depuis plusieurs générations qui lui impose ce plan national cohérent de sécurité.

Ainsi pour donner au débat actuel l’ampleur qu’il mérite, il m’apparaît indispensable de situer le problème de sécurité sociale sur son plan véritable, de l’envisager sous l’angle le plus large dans ses origines comme dans ses conséquences profondes.

Nul ne saurait ignorer que l’un des facteurs essentiels du problème social en France, comme dans presque tous les pays du monde, se trouve dans ce complexe d’infériorité que crée chez le travailleur le sentiment de son insécurité, l’incertitude du lendemain qui pèse sur tous ceux qui vivent de leur travail.

Le problème qui se pose aujourd’hui aux hommes qui veulent apporter une solution durable au problème social est de faire disparaître cette insécurité. Il est de garantir à tous les éléments de la population qu’en toute circon­stance ils jouiront de revenus suffisants pour assurer leur subsistance familiale. C’est ainsi seulement, en libérant les travailleurs de l’obsession permanente de la misère, qu’on permettra à tous les hommes et à toutes les femmes de développer pleinement leurs possibilités, leur personnalité, dans toute la mesure compatible avec le régime social en vigueur.

Voilà qui suffit à démontrer l’ampleur du contenu de la notion de sécurité sociale. Celle-ci implique d’abord une organisation économique qui fournisse à tous les hommes et à toutes les femmes en état de travailler une activité rémunératrice. Vous trouverez ici l’explication du lien étroit établi par les promoteurs du plan britannique entre la sécurité sociale et la politique du plein emploi.

Il faut, en second lieu, que l’activité ainsi garantie à tous les hommes et à toutes les femmes leur apporte les ressources suffisantes pour satisfaire à leurs besoins personnels et pour couvrir leurs charges familiales.

Ainsi s’inscrivent dans le cadre de la sécurité sociale largement fondu, toute la politique des salaires et le problème des prestations familiales.

Il ne suffit pas aux travailleurs une activité rémunératrice, il faut encore leur garantir la conservation de cette activité. Ceci suppose d’abord la garantie du salarié contre l’arbitraire patronal, problème difficile, qui implique la conciliation nécessaire entre l’autorité indispensable du chef d’entreprise dans son établissement et la garantie, non moins indispensable, à donner aux travailleurs contre les abus possibles du patron, problème difficile, qui n’a pas, jusqu’à ce jour, trouvé dans notre pays une solution vraiment satisfaisante, et qu’il faudra bien résoudre si l’on veut donner aux travailleurs la sécurité à laquelle ils ont droit.

D’autre part, le travailleur ne peut maintenir son activité qu’en conservant sa capacité de travail. Par suite, la sécurité sociale se trouve étroitement liée à tout le problème de l’organisation médicale, au problème des soins d’abord, au problème de la prévention de la maladie et de l’invalidité, au problème de l’hygiène et de la sécurité du travail, au problème de la prévention et de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Enfin, et c’est le dernier chapitre de la sécurité sociale, il faut parer aux conséquences de la perte possible, par le travailleur, de son activité rémunératrice. Quels que soit les efforts accomplis, l’on ne saurait espérer garantir à tous les travailleurs la permanence absolue de leur activité.

La politique de main d’œuvre la plus évoluée ne parvient pas à supprimer totalement le chômage. D’autre part une politique médicale parfaite ne saurait parvenir à supprimer la maladie. Quelle que soit la cause de l’interruption du travail la sécurité sociale suppose qu’il est paré aux conséquences de cette interruption par l’attribution d’un revenu de remplacement. Lorsque l’on parle sécurité sociale, c’est à ce dernier groupe de problèmes que l’on pense, en général, mais si important qu’il soit il n’en est qu’un aspect et même par sa nature, un aspect subsidiaire.

Le plan français de sécurité sociale tend aujourd’hui, parallèlement à une politique économique, à une politique de la main d’œuvre et à une politique des salaires qui doivent garantir à tous l’indemnité rémunératrice, aider les travailleurs de toutes catégories à conserver leur capacités de travail et à bénéficier, en cas de besoin, de revenus subsidiaires ou complémentaires.

Le problème ainsi posé fait apparaître l’unité fondamentale de la sécurité sociale. C’est d’ailleurs le fait nouveau qui s’est imposé aux dirigeants de la politique sociale de la plupart des pays anglo-saxons et de l’Europe occidentale et orientale au cours des dernières années.

Sans doute un effort considérable, plus considérable que dans la plupart des autres pays, avait-il été accompli déjà en France pour aider les travailleurs à obtenir les garanties partielles contre l’insécurité. Chacun connaît l’effort remarquable accompli par la mutualité française pour réaliser à travers tout le pays un vaste réseau d’institutions de prévoyance volontaire et libre.

Chacun sait également que nous disposions d’une législation des accidents du travail, d’une législation des assurances sociales, d’une législation des allocations familiales qui ne le cédaient en rien à celles des pays les plus évolués de l’Europe.

Mais la variété même des formules et des techniques, la séparation établie entre les législations entièrement distinctes et procédant de principes différents et souvent opposés, enlevaient aux efforts accomplis de leur efficacité.

La sécurité sociale est une unité. Cette unité s’affirme d’abord sur le plan financier, car il s’agit d’aménager une redistribution partielle du revenu national. Quel que soit le but particulier auquel peuvent tendre les diverses institutions, qu’elles aient pour objet de couvrir les charges de la maladie, de fournir des retraites de vieillesse ou des pensions d’invalidité professionnelle, ou d’alléger les charges de familles nombreuses, il s’agit toujours d’opérer un prélèvement sur les revenus de la masse pour couvrir l’insuffisance des ressources de certains.

L’unité de la sécurité sociale n’est à cet égard que l’affirmation d’une solidarité nationale indiscutable. Cette unité ne s’affirme pas moins , contrairement à ce qu’on a dit souvent, sur le plan technique. Sans doute jusqu’à ce jour, les différentes législations de sécurité sociale existant en France ont-elles procédé de techniques et de principes opposés. Mais on ne saurait leur donner leur pleine efficacité qu’en unifiant ces principes et ces techniques qui se ramènent tous à un problème de technique médicale et à un problème de technique financière. Il s’agit toujours soit de garantir des soins, soit de répartir des revenus. (…)

Enfin et peut-être surtout, l’unité de la sécurité sociale s’affirme sur le plan social. Il s’agit toujours, en effet, d’apporter des moyens d’existence à des familles manquant de ressources, de sauvegarder le capital humain du pays par la prévention de la maladie et de l’invalidité, de permettre à tous les individus de développer au maximum leurs moyens propres. (…)

L’organisation de la sécurité française, telle qu’elle a été conçue et réalisée dans le cadre des principes que je viens d’exposer, repose encore sur une règle fondamentale, qui est celle de la gestion des caisses par les intéressés eux-mêmes. C’est là certainement l’innovation la plus profonde qui ait été apportée dans toute l’organisation nouvelle. Le plan français de sécurité sociale, en effet, à la différence de la plupart des plans étrangers, est inspiré du souci de confier à la masse des travailleurs, à la masse des intéressés la gestion de leur propre institution, de manière que la sécurité sociale soit le fait non d’une tutelle paternaliste ou étatiste, mais de l’effort conscient des bénéficiaires eux-mêmes. (…)

L’organisation de la sécurité sociale (…) peut maintenant vous apparaître comme tendant avant tout à regrouper, en un ensemble cohérent et logique, des institutions qui, jusqu’à ce jour, étaient dispersées : assurances sociales, allocations familiales, accidents du travail. Mais si c’est là le premier résultat de l’organisation nouvelle de la sécurité sociale, il faut y voir, non pas le terme, mais le point de départ de cette organisation. Le but qu’il convient d’atteindre, en effet, c’est de généraliser la sécurité sociale. (…) Cette organisation nous fournit ainsi l’instrument de tous les progrès sociaux qui doivent, dans l’avenir, se réaliser, tant il est vrai que le progrès social est une création continue

A compléter –