Marine – PART 2


Les Contes du Renouveau – Marine – Part 2

Quelques années plus tard, quelques jours avant son vingt-troisième anniversaire, alors qu’elle était en voyage à  Bobo-Dioulasso au Burkina Faso , elle rencontra quelqu’un. Un jeune homme généreux qui avait beaucoup voyagé et qui avait lui aussi une très étrange famille. 

La première fois qu’ils se rencontrèrent , Marine était assise à une terrasse de café.  Les voitures passaient, soulevant des nuages de poussière,  les hommes déambulaient sur leurs mobylettes, tel des équilibristes d’un genre nouveau avec des montagnes en paquet sur le dos , elle regardait le spectacle, quand le jeune homme s’installa à  la table d’à  côté. Quand elle le vit, elle se dit qu’il avait sûrement le même problème qu’elle : elle était bien trop blanche et blonde pour passer inaperçue et  lui trop foncé, tout le monde semblait les observer . C’est comme ça qu’ils entamèrent la conversation :

« – Vu votre couleur de peau, lança Marine, vous devriez aller  plus au nord si vous voulez passer inaperçu , mais ne dépassez pas les 500 km, vous seriez encore embêté, vous seriez trop clair, 

– Merci de votre conseil, lui répondit l’homme

– Pour ma part, reprit-elle, cette couleur m’ouvre toute les portes d’or mais pas une qui me plaise.  

– Votre couleur a effectivement pillé beaucoup d’or, mais elle a aussi pillé l’uranium, le cuivre, le zinc peut-être existe-t-il des portes faites de ces matières là qui vous seraient plus agréables ? »

Marine se mit à  rire, cette façon qu’il avait eu de résumé tant de maux en une sorte de poésie absurde, elle le trouva charmant. Et lui pensa : enfin une femme qui sourit et n’essaie pas d’être belle en souriant. Il commençait à  l’apprécier malgré  sa couleur de peau. 

Ils discutèrent de toute sorte de choses, de politique, de musique, de cinéma,  et il en vint à  parler de magie. 

– De la magie vous dites? Mais que me chantez-vous là  ? s’étonna Marine,

– Je sais que par chez vous, il en existe aussi, rétorqua l’homme avec un air de défi,

– Mais de quoi parlez-vous ? Je n’ai jamais baigné dans ces choses là  ! ,

Elle avait bien vu son père,  ses amis et sa mère s’adonner à  quels rites, mais elle n’avait jamais voulu en savoir plus, les affaires de ses parents, Marine n’avait jamais voulu en faire partie.

L’homme s’approcha d’elle, plaça son visage à quelques centimètres du sien, la regarda droit dans les yeux et chuchota :

– Je sais que si, je ne me suis pas assis à côté de vous par hasard, je vous ai vu tout à l’heure à l’hôtel et je vous ai tout de suite reconnue, il faut que je vous parle.

C’est à ce moment là que l’Ombre passa sur le visage de Marine, l’Ombre venue de nulle part. L’homme la reconnut aussitôt. Avant qu’elle n’ait pu dire un mot, l’homme posa sa main sur la main de Marine et porta son autre main à son visage, tendit deux doigts, l’index et le majeur, l’un à  côté de l’autre et les posa au centre du front lisse et blanc, en murmurant : 

– Je suis là  pour vous aider,

Il ferma les yeux, elle le laissa faire, 

– Il y a des bougies, des bougies et du sang, vous êtes une enfant, une toute petite enfant et ils vous infligent la marée  noire,

– Je ne comprends pas de quoi vous parler, répondit Marine d’une voix gênée et soudain faible, presque comme endormie,

Puis les images lui apparurent à elle aussi,  elle devait à  peine avoir 3 ans, sa mère,  son père étaient là et quelques amis. Parmi eux, l’Oncle Gilbert, qui n’était pas son oncle, mais que tout le monde appelé «l’Oncle Gilbert ». Il portait une robe, longue et sans forme, d’une couleur incertaine, elle ne se rappelait que de la matière : brillante. Il y avait effectivement des bougies, elle les voyait aussi, tout le monde portait de jolis masques et le tout baignait dans une très  belle lumière. De son regard d’enfant, elle avait perçu une grande solennité. Son père l’avait d’abord lavé avec de l’eau rouge, ensuite avec de l’eau blanche et enfin on l’avait lavé avec de l’eau bleue, c’était très bon pour la peau avait dit sa mère. Marine n’avait pas eu peur, tout cela avait été comme un anniversaire spécial,  un anniversaire dont il ne faudrait pas parler, mais un anniversaire quand même. Pour finir, elle était allée  prendre un bain, avec de l’eau claire, elle se rappelait maintenant… 

Quand elle sortit de sa torpeur, l’homme avait ramassé  ses deux mains et commandait un thé,  

– Je ne comprends pas, dit Marine, comment avez-vous su ? Alors que moi-même je ne m’en rappelais pas. 

– Car je vous connais Marine, répondit  l’homme, maintenant je vous connais et je vais vous aider. 

Ils restèrent assis un long moment.  Aucun ne chercha plus à  parler. L’homme buvait son thé  et Marine était prostrée, le verre fumant entre ses mains. Son dos ne touchait pas au dossier, on aurait cru à  chaque minute qu’elle allait soit boire, soit se lever, mais elle restait là, sans bouger, les yeux dans le vide. 

A un moment, l’homme se leva. Il posa sur la table un billet, sûrement pour régler le thé, une enveloppe, sur laquelle Marine vit noté  son prénom et partit, en adressant un regard plein de compassion  à  Marine. 

Il se passa peut-être une heure avant qu’elle bougea à  nouveau. Maintenant, elle réfléchissait.  Maintenant qu’elle se rappelait, il était temps de comprendre ce que tout cela voulait dire avec son regard de jeune femme de 23 ans. 

Elle posa le verre de thé,  sans l’avoir bu et partit elle aussi